Amalia Laurent - L’édifice immense du souvenir
L’exposition L’édifice immense du souvenir d’Amalia Laurent, pensée avec l’historien de l’art Bertrand Riou, réunit ce printemps au CACN des œuvres faisant intrinsèquement appel à d’autres espace-temps. Son titre, extrait du roman de Proust, À la recherche du temps perdu, fait directement référence à l’émotion intense ressentie lorsque qu’un petit morceau de madeleine ravivait « sur la ruine de tout le reste » des souvenirs d’enfance ensommeillés mais tenaces.
Dans cette exposition, il ne s’agit pas de remonter le temps pour proposer une rétrospective, dont l’objet – dans son acception la plus courante – aurait été de présenter de façon récapitulative l’Œuvre de l’artiste et l’évolution de son parcours. Chez Amalia Laurent, les pièces pourtant chacune créée spécifiquement dans un contexte précis, se font écho sans cesse. Aussi, L’édifice immense du souvenir est une tentative. Celle de considérer les résonances possibles entre les œuvres réalisées in situ, et la transformation du regard qu’on leur porte lorsqu’elles s’autonomisent en se détachant d’un cadre originel. Il s’agit pour Amalia Laurent, en prenant de la distance vis à vis de ses œuvres, de mettre en évidence les problématiques qui leur sont communes, la mémoire fragile des lieux qu’elles portent en elles ainsi que les souvenirs personnels qu’elles sont susceptibles de susciter. Quelques images documentaires se font témoins des histoires de ces œuvres, rappelant les musées d’archéologie, où les artéfacts sont présentés en regard de plans et de photographies du chantier de fouilles, comme pour mieux en saisir le contexte de (re)découverte.
Les œuvres textiles, entre les mailles serrées de coton plein et la trame vide d’un tissu transparent, interrogent les notions de visible et d’invisible. Elles permettent de recomposer les espaces pour créer une promenade méditative où le vent s’engouffre par une fenêtre laissée entrouverte, animant les pièces suspendues d’un souffle de vie. Le corps, par sa présence incarnée, devient interprète dans cet espace quasi chorégraphique. Le dialogue entre ce qui existe devant et derrière le rideau – peut-être celui d’une scène – permet d’indiquer une frontière mouvante, que l’on peut envisager comme un oxymore pluriel : celle du tangible et de l’insaisissable, du permanent et de l’éphémère, de l’unique et du multiple, des vivants et des ancêtres. Peut-être est-ce là une velléité d’inventer un espace de coexistence entre les plis du monde.
Le voile se déploie et la lecture se dédouble : elle oscille entre ce qui apparaît sur la surface de l’écran, et ce qui devient perceptible, à l’aide de nombreux jeux de lumière, à travers celui-ci. Ces deux points de vue, en se superposant, proposent une synthèse chimérique entre l’imaginaire et la réalité. Faut-il rester sur le seuil et envisager ces œuvres comme des images hypnotiques ? Comme autant de filtres ou de calques ces pièces transforment sensiblement les caractéristiques propres des espaces et l’appréhension qu’elles induisent. Ailleurs, quelques briques figurent une construction ou déconstruction en cours, comme pour rappeler que les œuvres elles-mêmes façonnent l’architecture autant que les figures qui les habitent.
Les impressions de la série Balcon, balcons, réalisées à partir d’agrandissements photographiques de batik, fruits de la rencontre d’une tradition indonésienne millénaire et d’une technique de reproduction numérique, interrogent à l’aune du changement d’échelle et de médium les phénomènes optiques de reconstitution et de synthèse des différentes strates contenues dans les images. Dans ce travail que l’artiste qualifie d’ « introspectif », si la matérialité de la cire a disparu, remplacée par les pigments de la teinture, elle n’en reste pas moins éminemment présente en négatif. Qu’il s’agisse de cartes imprimées sur tissus pendant la seconde guerre mondiale (permettant aux soldats de ne pas faire de bruit en les ouvrant), ou de stick charts, cartes des marins mélanésiens en rotin représentant les courants : l’invisible est omniprésent dans l’exposition.
À chaque invitation dans un nouveau lieu, Amalia Laurent réalise des photographies-empreintes, pour alimenter un répertoire d’images comme pour saisir l’identité de l’architecture en question. Métaphore de toute l’exposition L’édifice immense du souvenir, où se rencontrent et dialoguent des œuvres décontextualisées, une pièce réunit quelques unes de ces images, parmi lesquelles se glisse celle du CACN, entrant à son tour dans la collection personnelle de l’artiste. Cette installation semble poser matériellement une question centrale dans le travail d’Amalia Laurent : est-il possible de se trouver dans deux espaces en même temps ? L’œuvre sonore Je me suis étiré sans quitter ma place, comme une tentative vaine d’unifier les mondes, offre ici un élément de réponse. En proposant aux habitant·e·s du quartier d’écouter un extrait de musique puis de décrire les paysages qu’il leur évoque, et à des musiciens de composer pour des panoramas, Amalia Laurent cherche à superposer le temps mathématique, tangible, et le temps fuyant et insaisissable de la mémoire. Sans doute faut-il fermer les yeux pour mieux écouter ces paysages, faire l’expérience d’un voyage immobile vers un ailleurs invisible, attentif·ve à ce qu'il se passe d’extraordinaire en soi comme disait Proust, pour peut-être se laisser surprendre par L’édifice immense du souvenir.
Dans cette exposition, il ne s’agit pas de remonter le temps pour proposer une rétrospective, dont l’objet – dans son acception la plus courante – aurait été de présenter de façon récapitulative l’Œuvre de l’artiste et l’évolution de son parcours. Chez Amalia Laurent, les pièces pourtant chacune créée spécifiquement dans un contexte précis, se font écho sans cesse. Aussi, L’édifice immense du souvenir est une tentative. Celle de considérer les résonances possibles entre les œuvres réalisées in situ, et la transformation du regard qu’on leur porte lorsqu’elles s’autonomisent en se détachant d’un cadre originel. Il s’agit pour Amalia Laurent, en prenant de la distance vis à vis de ses œuvres, de mettre en évidence les problématiques qui leur sont communes, la mémoire fragile des lieux qu’elles portent en elles ainsi que les souvenirs personnels qu’elles sont susceptibles de susciter. Quelques images documentaires se font témoins des histoires de ces œuvres, rappelant les musées d’archéologie, où les artéfacts sont présentés en regard de plans et de photographies du chantier de fouilles, comme pour mieux en saisir le contexte de (re)découverte.
Les œuvres textiles, entre les mailles serrées de coton plein et la trame vide d’un tissu transparent, interrogent les notions de visible et d’invisible. Elles permettent de recomposer les espaces pour créer une promenade méditative où le vent s’engouffre par une fenêtre laissée entrouverte, animant les pièces suspendues d’un souffle de vie. Le corps, par sa présence incarnée, devient interprète dans cet espace quasi chorégraphique. Le dialogue entre ce qui existe devant et derrière le rideau – peut-être celui d’une scène – permet d’indiquer une frontière mouvante, que l’on peut envisager comme un oxymore pluriel : celle du tangible et de l’insaisissable, du permanent et de l’éphémère, de l’unique et du multiple, des vivants et des ancêtres. Peut-être est-ce là une velléité d’inventer un espace de coexistence entre les plis du monde.
Le voile se déploie et la lecture se dédouble : elle oscille entre ce qui apparaît sur la surface de l’écran, et ce qui devient perceptible, à l’aide de nombreux jeux de lumière, à travers celui-ci. Ces deux points de vue, en se superposant, proposent une synthèse chimérique entre l’imaginaire et la réalité. Faut-il rester sur le seuil et envisager ces œuvres comme des images hypnotiques ? Comme autant de filtres ou de calques ces pièces transforment sensiblement les caractéristiques propres des espaces et l’appréhension qu’elles induisent. Ailleurs, quelques briques figurent une construction ou déconstruction en cours, comme pour rappeler que les œuvres elles-mêmes façonnent l’architecture autant que les figures qui les habitent.
Les impressions de la série Balcon, balcons, réalisées à partir d’agrandissements photographiques de batik, fruits de la rencontre d’une tradition indonésienne millénaire et d’une technique de reproduction numérique, interrogent à l’aune du changement d’échelle et de médium les phénomènes optiques de reconstitution et de synthèse des différentes strates contenues dans les images. Dans ce travail que l’artiste qualifie d’ « introspectif », si la matérialité de la cire a disparu, remplacée par les pigments de la teinture, elle n’en reste pas moins éminemment présente en négatif. Qu’il s’agisse de cartes imprimées sur tissus pendant la seconde guerre mondiale (permettant aux soldats de ne pas faire de bruit en les ouvrant), ou de stick charts, cartes des marins mélanésiens en rotin représentant les courants : l’invisible est omniprésent dans l’exposition.
À chaque invitation dans un nouveau lieu, Amalia Laurent réalise des photographies-empreintes, pour alimenter un répertoire d’images comme pour saisir l’identité de l’architecture en question. Métaphore de toute l’exposition L’édifice immense du souvenir, où se rencontrent et dialoguent des œuvres décontextualisées, une pièce réunit quelques unes de ces images, parmi lesquelles se glisse celle du CACN, entrant à son tour dans la collection personnelle de l’artiste. Cette installation semble poser matériellement une question centrale dans le travail d’Amalia Laurent : est-il possible de se trouver dans deux espaces en même temps ? L’œuvre sonore Je me suis étiré sans quitter ma place, comme une tentative vaine d’unifier les mondes, offre ici un élément de réponse. En proposant aux habitant·e·s du quartier d’écouter un extrait de musique puis de décrire les paysages qu’il leur évoque, et à des musiciens de composer pour des panoramas, Amalia Laurent cherche à superposer le temps mathématique, tangible, et le temps fuyant et insaisissable de la mémoire. Sans doute faut-il fermer les yeux pour mieux écouter ces paysages, faire l’expérience d’un voyage immobile vers un ailleurs invisible, attentif·ve à ce qu'il se passe d’extraordinaire en soi comme disait Proust, pour peut-être se laisser surprendre par L’édifice immense du souvenir.