Victoria David - Snow Gum
Victoria David regarde le monde comme une géologue, comme une archéologue, ou comme une physicienne. Il s’agit pour elle de prêter une attention particulière à la matérialité du monde, tout en envisageant sa plasticité, sa multiplicité et son potentiel de métamorphose. Ainsi, les musées arpentés par Victoria David depuis son enfance en Angleterre, qui recèlent des artefacts et des œuvres d’art, exposent des marqueurs de temps et d’histoire qui l’intéressent tout particulièrement. Mais dans la pratique de l’artiste, les distinctions chronologiques et géographiques s’érodent au profit d’une relecture horizontale ouvrant sans cesse le champ des interprétations, tant artistiques qu’historiques.
Victoria David est une peintre dont la pratique de la couleur se transpose aux formes sculpturales. Les nombreuses textures qu’elle utilise ne sont que prétexte à composer un tableau en volume : « J’imagine la peinture comme une stratification sur la toile, d’une certaine manière, je fais de la peinture en volume ».
Pour le local, l’artiste présente un ensemble de pièces, toutes produites entre 2018 et 2019, dont les différences formelles ne contrarient pas les affinités essentielles. Elles attestent toutes d’un intérêt pour le caractère éminemment tactile des matières et pour le passage du temps. Les lignes courbes cherchent à s’entrelacer aux linteaux métalliques de la façade du kiosque quand les pleins trouvent leurs places ça et là, dans un paysage fantasmagorique. Partout, les couleurs subtiles ou éclatantes vibrent autant que les formes, solides ou instables.
Les œuvres
Les Bobines, réalisées en papier mâché teinté, sont autant de monochromes ou de compositions colorées qui rythment la pratique de Victoria David. Le procédé sommaire développé avec des matériaux de récupération, du domaine domestique (le papier journal notamment) dévoile le caractère expérimental de la pratique de l’artiste. Les couches de matière sont ensuite assemblées comme on compose une toile, en différents plans. Ici exposées dans ce dispositif singulier, ces sculptures rappelant formellement les oeuvres de Franz West, se font les métaphores d’un paradoxe : aussi massives et compactes qu’elles puissent paraître de l’autre coté de la vitre, elles n’en sont pas moins légères, fragiles et périssables.
Une familiarité, est une sculpture en carton recouverte de cire colorée. Inspirée des colonnes de l’architecture grecque antique, on y retrouve une référence discrète à la tradition sculpturale millénaire, tout comme en négatif, au procédé de fonderie dit « à la cire perdue » des oeuvres en bronze. Elle est aussi un témoignage d’une technique développée dans un atelier-laboratoire, où les œuvres se font et se défont, se fondent même parfois.
Les Tupos, dont le vert et le bleu francs contrastent avec le blanc de leurs immédiates voisines, permettent une transition entre le plein et le vide. On reconnaît ici la matière des Bobines, qui peut-être se déroulent dans l’espace : elles deviennent lignes, traces de pinceau ou dessins en trois dimensions.
Les espiègles, quant à elles réalisées en plâtre, sont les fruits d’une observation assidue des sculptures et des gargouilles qui ornent les toitures des cathédrales. Ici encore, les couches de plâtre teintées ont été apposées méticuleusement, les unes après les autres. Un ponçage évoquant une usure naturelle laisse apparaître les strates quasi minéralogiques précédentes. Ces sculptures s’apparentent aux troncs des Snow Gum, une variété montagneuse d’eucalyptus dont l’écorce révèle une multitude de nuances de couleurs et dont les feuilles ne tombent que sous le poids de la neige…
Victoria David, Snow Gum, le local, janvier 2020. Photo : Thomas Schmahl