Sous la surface,
portrait de Julie Digard
portrait de Julie Digard
Si l’on gratte la fine couche colorée de peinture (pré)supposée décorative et séductrice, le travail de Julie Digard se révèle être une véritable recherche sur le médium « peinture » lui-même. Consciente de la prégnance des influences historiques de Supports/Surfaces et du minimalisme américain d’après-guerre dans sa pratique, l’artiste cherche en permanence à insérer d’infimes grains de sable dans une mécanique traditionnelle bien établie.
Espiègle, elle procède alors en s’imposant de multiples règles et protocoles qu’elle transgressera ensuite. Il s’agit là de poser, avec la légèreté du jeu, quelques questions rhétoriques à la peinture, paradoxalement omniprésente dans son travail quels que soient les médiums utilisés. Si l’artiste s’essaie à la sculpture, à la photographie ou nourrit des projets de vidéos, c’est donc systématiquement avec un regard de peintre. Ainsi, les volumes et les images deviennent surfaces, s’apparentant à quelques à-plats d’une composition toujours picturale où la couleur séduit autant qu’elle met à distance. Elle est contrainte dans des zones délimitées avec rigueur, elle ne coule pas, ne déborde pas, n’envahit pas. Nulle matière donc, si ce n’est quelques tissus et éléments ready made intégrés ça et là pour leurs qualités plastiques spécifiques.
Ailleurs, la peinture devient décor d’une pièce de théâtre supposée, reconstitution d’un atelier d’artiste ou module d’une architecture fantasmée. Sa présence est telle qu’il serait aisé d’oublier celui qui semble être le protagoniste pourtant discret de ce travail : le blanc. Il est le silence de la musique, la respiration de la danse et chez Julie Digard, la condition sine qua non de l’assemblage. Simple réserve, il est « absence » et pourtant témoin d’un travail laborieux nécessaire à l’artiste. Un temps de préparation de la toile d’une part, par l’application de couches successives de gesso, et des éléments picturaux colorés d’autre part, que l’artiste élabore progressivement à l’aide de croquis, aquarelles et collages, qu’il faudra ensuite tenter de faire « cohabiter » dans un même espace « vide ».
Cet espace, c’est parfois le châssis, ou plutôt les châssis superposés – de manière à s’éloigner toujours un peu plus des formats de la peinture occidentale – ou encore celui du lieu d’exposition au sein duquel Julie Digard développe des « espaces de peinture solitaires », plans et cartographies de quelques ilots tropicaux ou architectures hybrides. Impossible donc de nommer ces espaces potentiels, à géométrie variable, au sein desquels le corps voudrait pouvoir évoluer.
Si les titres des œuvres, éminemment formalistes, semblent également dénués de toute volonté de dénomination poétique, c’est à travers le répertoire de formes évoquant l’alphabet que l’on décèle l’intérêt de l’artiste pour le langage. Aussi l’écriture trouve sa place dans un travail de recherche parallèle, mettant en exergue la question récurrente qui habite sa pratique en filigrane : comment être peintre aujourd’hui ?
À défaut de chercher à donner une réponse à cette éternelle question que l’on suppose, non sans un romantisme certain, formulée dans l’atelier depuis des siècles, Julie Digard continue de se la poser, et par là même de la poser au « regardeur » qu’évoquait Duchamp, à travers une multitude de supports, à l’endroit précis de l’acte indémodable de « peindre ».
Julie Digard, Les plâtres#7 et #8, 2017, acrylique, plâtre et tissu, dimension variable. Courtesy artiste. Vue de l’exposition Peinture du 07 au 23 Septembre 2017 à la Mapraa, Lyon ©Laurence Papoutchian
Julie Digard, Vue de l’exposition Peinture, du 07 au 23 Septembre 2017 à la Mapraa, Lyon ©Laurence Papoutchian
Julie Digard, Tesia Glyti, 2017, Terre cuite, similicuir, acrylique, glycéro et tissus, dimension variable. Vue de l’exposition et projet Neuf Kilomètres, mars et avril 2017, Moly-Sabata/Fondation Albert Gleizes, Sablons.