Xavier Veilhan
Commande de texte pour l’exposition De plain-pied, présentée au FRAC Pays de la Loire, du 17/05 au 01/09/2024. Commissariat : Claire Staebler
L’exposition monographique de Xavier Veilhan fait suite à la présentation du spectacle Tout l’univers du duo composé de l’artiste et du scénographe Alexis Bertrand, lors du Festival Variation, au Lieu Unique, en avril dernier. En écho, c’est « tout l’univers » de cet artiste français à la carrière internationale, que l’on retrouve dans les espaces du Frac sur l’île de Nantes. L’exposition De plain-pied, pensée par l’artiste et Claire Staebler comme un joyeux « best of », retrace les moments clés d’une pratique prolifique et sans cesse réactualisée, qui s’attache à capter l’essence même des lieux, des objets et des êtres.
Dans l’espace De plain-pied du Frac, Xavier Veilhan développe un projet sur mesure, ayant pour ambition de mettre en lumière ses œuvres majeures, présentes dans la collection du Frac, mais aussi empruntées à d’autres institutions publiques françaises. Fidèle à son habitude, il imagine, avec Alexis Bertrand, un nouveau dispositif en carton entièrement recyclable, dans une grande économie de moyen, révélatrice de leur intérêt commun pour l’éco-design. Dans un monde subissant une crise écologique sans précédent, l’artiste réfléchit à la manière dont il peut faire le moins de dégât possible. Ce matériau, qualifié de « pauvre », utilisé davantage pour emballer les œuvres d’art que pour les présenter, avait déjà été anobli en devenant socles et sculptures monumentales lors de son exposition PLUS QUE PIERRE, à la collégiale Saint-Martin à Angers, avec le Frac, en 2019. Cinq ans plus tard, Xavier Veilhan poursuit sa recherche avec cette nouvelle scénographie De plain-pied qui permet un dialogue sensible entre des pièces produites sur une période de trois décennies. Avant même de franchir la porte, le public est accueilli par une proposition graphique suggérant le lien entre l’extérieur et l’intérieur, comme pour rappeler que la présence de nos corps n’est pas optionnelle, mais bien nécessaire dans cet espace de représentation, pensé comme un insert dans la réalité, comme une passerelle vers le monde des idées.
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Le travail de Xavier Veilhan se déploie, depuis les années 90, autour de plusieurs axes de recherches qui s’entremêlent. Qu’il s’agisse de statues floues, de sculptures à facettes, de mobiles en mouvement, d’œuvres monumentales dans l’espace public, de vidéos et autres projets immersifs en réalité virtuelle, ou encore de spectacles pluridisciplinaires, ses œuvres aussi familières qu’étranges jouent d’effets de vitesse, de changements d’échelles, de rencontres entre techniques artisanales, nouvelles technologies et de matériaux ultra contemporains. Elles interrogent notre rapport à un monde en perpétuel mouvement, ainsi que la manière dont nous percevons et comprenons les objets et les êtres qui nous entourent. Tournant le dos au pathos et au sentimentalisme, l’artiste cherche à regarder le réel avec une forme d’objectivité pour pouvoir s’en s’affranchir, et pour rendre sensible le lien entre une idée, qui naît dans un espace mental personnel, et la réalité commune dans laquelle nous évoluons. Par son approche quasi photographique, l’artiste « révèle » l’essence des formes ; celles des objets, des lieux, ou bien des gens, s’inscrivant dans une tradition allant de Velasquez à Ed Ruscha en passant par Manet, Bancusi, Calder, Warhol ou Armleder.
Nous connaissons de Xavier Veilhan son bestiaire inspiré de la sculpture animalière du XIXème siècle : le requin, le cheval, le lion, le chien… La plus célèbre de ses sculptures, le rhinocéros rouge (1999-2000) produit pour la vitrine d’Yves Saint Laurent dans le quartier de Soho à New York, est présentée ici dans les espaces du Frac. Cette œuvre, monochrome, séduisante et dynamique, comme un pictogramme ou un dessin tiré d’un abécédaire pour enfants, fait entrer en collision l’image archétypale et préhistorique de l’animal et la technologie de pointe du monde industriel.
Pour révéler la présence physique d’un animal ou d’une personne, seuls quelques points de repères suffisent ; l’artiste génère donc, pour la série de dessins Free Fall (2011), un flou intentionnel, comme une anti-érosion, vecteur d’une mystérieuse précision. Quelques années plus tard, utilisant des scanners destinés au domaine de l’architecture, il présente les premiers portraits sculpturaux d’une série inspirée par le photographe de la nouvelle objectivité August Sander, qui s’attachait à représenter ses contemporains dans leurs fonctions sociales. Xavier Veilhan invite des architectes « super stars » puis des producteurs de musique et des collaborateurs·rices à poser une heure durant, pour en saisir, à l’aide d’un relevé radar de points dans l’espace, l’attitude qu’ils offrent à « l’objectif » en se présentant consciemment au regard, à l’image de la sculpture Constance n°3 (2024).
Pour réaliser différentes œuvres, dont l’attelage de chevaux et son carrosse violet qui glitch présenté au château de Versailles en 2009, il s’inspire de la chronophotographie d’Etienne-Jules Marey, dont il présente un portrait dans l’exposition (Marey, 2008). Comme souvent dans sa pratique, il est question de paradoxes, de confusions spatiales et temporelles, d’antagonismes entre forme et matière. Un trouble nous saisit devant La Moto (Sans Titre (La Moto), 1992), un véhicule hyperréaliste, un assemblage de pièces minutieusement reproduites en mousse polyuréthane, bois, pvc et résine polyester.
La musique n’a cessé d’accompagner le travail de Xavier Veilhan, si bien qu’en 2017, à l’occasion de la 57ème biennale de Venise, où il représente la France, il réalise avec le scénographe Alexis Bertrand le studio Venezia, inspiré par le Merzbau de Kurt Schwitters (1923-1937). Il s’agit d’une structure immersive rappelant un studio d’enregistrement de musique, fonctionnel et activé pendant toute la durée de l’exposition par des musiciens du monde entier. Il présente dans ce lieu différents instruments de musique en bois, comme la gigantesque guitare présente dans l’exposition du Frac (Instrument n°7, 2022). Ses nombreux mobiles et stabiles, constitués de formes géométriques, évoquent eux aussi des notes de musique qui évoluent sur une partition fixe ou en mouvement. « J’aime que le travail devienne une manière de générer des situations plutôt qu’uniquement des objets ».
Ce déplacement, fondamental dans sa pratique dès sa première exposition personnelle en 1991, atteste d’un rapport singulier avec le public. La scénographie, que l’on pourrait qualifier de « situation », fait véritablement corps avec les œuvres, transformant l’espace lui-même. L’exposition devient alors un paysage que nous embrassons du regard, que nous habitons avec nos corps en mouvement et dans lequel nous sommes invité·e·s à déambuler. Lorsqu’il réalisait La forêt en 1998, une installation monumentale composée de nombreux troncs d’arbres en feutre, il matérialisait déjà cette notion de flânerie, omniprésente, et source de multiples recherches depuis. En effet, dès le début des années 2000, et notamment lors de Plein Emploi au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, il collabore avec Alexis Bertrand pour questionner le format même de l’exposition. Cette réflexion à forte dimension sociale s’est étendue, depuis, à la performance, à l’écran, ainsi qu’à la scène du spectacle vivant, faisant de sa pratique artistique, éminemment contemporaine, l’une des plus singulières de notre époque.
Dans l’espace De plain-pied du Frac, Xavier Veilhan développe un projet sur mesure, ayant pour ambition de mettre en lumière ses œuvres majeures, présentes dans la collection du Frac, mais aussi empruntées à d’autres institutions publiques françaises. Fidèle à son habitude, il imagine, avec Alexis Bertrand, un nouveau dispositif en carton entièrement recyclable, dans une grande économie de moyen, révélatrice de leur intérêt commun pour l’éco-design. Dans un monde subissant une crise écologique sans précédent, l’artiste réfléchit à la manière dont il peut faire le moins de dégât possible. Ce matériau, qualifié de « pauvre », utilisé davantage pour emballer les œuvres d’art que pour les présenter, avait déjà été anobli en devenant socles et sculptures monumentales lors de son exposition PLUS QUE PIERRE, à la collégiale Saint-Martin à Angers, avec le Frac, en 2019. Cinq ans plus tard, Xavier Veilhan poursuit sa recherche avec cette nouvelle scénographie De plain-pied qui permet un dialogue sensible entre des pièces produites sur une période de trois décennies. Avant même de franchir la porte, le public est accueilli par une proposition graphique suggérant le lien entre l’extérieur et l’intérieur, comme pour rappeler que la présence de nos corps n’est pas optionnelle, mais bien nécessaire dans cet espace de représentation, pensé comme un insert dans la réalité, comme une passerelle vers le monde des idées.
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Le travail de Xavier Veilhan se déploie, depuis les années 90, autour de plusieurs axes de recherches qui s’entremêlent. Qu’il s’agisse de statues floues, de sculptures à facettes, de mobiles en mouvement, d’œuvres monumentales dans l’espace public, de vidéos et autres projets immersifs en réalité virtuelle, ou encore de spectacles pluridisciplinaires, ses œuvres aussi familières qu’étranges jouent d’effets de vitesse, de changements d’échelles, de rencontres entre techniques artisanales, nouvelles technologies et de matériaux ultra contemporains. Elles interrogent notre rapport à un monde en perpétuel mouvement, ainsi que la manière dont nous percevons et comprenons les objets et les êtres qui nous entourent. Tournant le dos au pathos et au sentimentalisme, l’artiste cherche à regarder le réel avec une forme d’objectivité pour pouvoir s’en s’affranchir, et pour rendre sensible le lien entre une idée, qui naît dans un espace mental personnel, et la réalité commune dans laquelle nous évoluons. Par son approche quasi photographique, l’artiste « révèle » l’essence des formes ; celles des objets, des lieux, ou bien des gens, s’inscrivant dans une tradition allant de Velasquez à Ed Ruscha en passant par Manet, Bancusi, Calder, Warhol ou Armleder.
Nous connaissons de Xavier Veilhan son bestiaire inspiré de la sculpture animalière du XIXème siècle : le requin, le cheval, le lion, le chien… La plus célèbre de ses sculptures, le rhinocéros rouge (1999-2000) produit pour la vitrine d’Yves Saint Laurent dans le quartier de Soho à New York, est présentée ici dans les espaces du Frac. Cette œuvre, monochrome, séduisante et dynamique, comme un pictogramme ou un dessin tiré d’un abécédaire pour enfants, fait entrer en collision l’image archétypale et préhistorique de l’animal et la technologie de pointe du monde industriel.
Pour révéler la présence physique d’un animal ou d’une personne, seuls quelques points de repères suffisent ; l’artiste génère donc, pour la série de dessins Free Fall (2011), un flou intentionnel, comme une anti-érosion, vecteur d’une mystérieuse précision. Quelques années plus tard, utilisant des scanners destinés au domaine de l’architecture, il présente les premiers portraits sculpturaux d’une série inspirée par le photographe de la nouvelle objectivité August Sander, qui s’attachait à représenter ses contemporains dans leurs fonctions sociales. Xavier Veilhan invite des architectes « super stars » puis des producteurs de musique et des collaborateurs·rices à poser une heure durant, pour en saisir, à l’aide d’un relevé radar de points dans l’espace, l’attitude qu’ils offrent à « l’objectif » en se présentant consciemment au regard, à l’image de la sculpture Constance n°3 (2024).
Pour réaliser différentes œuvres, dont l’attelage de chevaux et son carrosse violet qui glitch présenté au château de Versailles en 2009, il s’inspire de la chronophotographie d’Etienne-Jules Marey, dont il présente un portrait dans l’exposition (Marey, 2008). Comme souvent dans sa pratique, il est question de paradoxes, de confusions spatiales et temporelles, d’antagonismes entre forme et matière. Un trouble nous saisit devant La Moto (Sans Titre (La Moto), 1992), un véhicule hyperréaliste, un assemblage de pièces minutieusement reproduites en mousse polyuréthane, bois, pvc et résine polyester.
La musique n’a cessé d’accompagner le travail de Xavier Veilhan, si bien qu’en 2017, à l’occasion de la 57ème biennale de Venise, où il représente la France, il réalise avec le scénographe Alexis Bertrand le studio Venezia, inspiré par le Merzbau de Kurt Schwitters (1923-1937). Il s’agit d’une structure immersive rappelant un studio d’enregistrement de musique, fonctionnel et activé pendant toute la durée de l’exposition par des musiciens du monde entier. Il présente dans ce lieu différents instruments de musique en bois, comme la gigantesque guitare présente dans l’exposition du Frac (Instrument n°7, 2022). Ses nombreux mobiles et stabiles, constitués de formes géométriques, évoquent eux aussi des notes de musique qui évoluent sur une partition fixe ou en mouvement. « J’aime que le travail devienne une manière de générer des situations plutôt qu’uniquement des objets ».
Ce déplacement, fondamental dans sa pratique dès sa première exposition personnelle en 1991, atteste d’un rapport singulier avec le public. La scénographie, que l’on pourrait qualifier de « situation », fait véritablement corps avec les œuvres, transformant l’espace lui-même. L’exposition devient alors un paysage que nous embrassons du regard, que nous habitons avec nos corps en mouvement et dans lequel nous sommes invité·e·s à déambuler. Lorsqu’il réalisait La forêt en 1998, une installation monumentale composée de nombreux troncs d’arbres en feutre, il matérialisait déjà cette notion de flânerie, omniprésente, et source de multiples recherches depuis. En effet, dès le début des années 2000, et notamment lors de Plein Emploi au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, il collabore avec Alexis Bertrand pour questionner le format même de l’exposition. Cette réflexion à forte dimension sociale s’est étendue, depuis, à la performance, à l’écran, ainsi qu’à la scène du spectacle vivant, faisant de sa pratique artistique, éminemment contemporaine, l’une des plus singulières de notre époque.
1 Architects as volume, 2012 / Music, Perrotin, Paris & New York, 2015
2 Propos recueillis par Marie Maertens lors d’un entretien publié dans la revue Zérodeux, avril 2015
3 À la galerie Jennifer Flay, Paris
4 Présentée au Centre d’art contemporain de Kitakyusku, au japon en 1998 puis au Mamco de Genève (1999), au Consortium de Dijon (1999) et au Magasin de Grenoble (2000).