L’odeur du ciel, Damien Fragnon et Naomi Maury
compte rendu d’exposition
compte rendu d’exposition
Damien Fragnon et Naomi Maury développent des pratiques artistiques différenciées tout en ayant en commun un intérêt prégnant pour la notion théorique d’anthropocène et pour les éléments naturels modifiés par les activités humaines, qui en sont les symptômes. L’augmentation de la température sur la planète suscite chez ces deux artistes une inquiétude qui prend forme dans un ensemble de sculptures et d’installations dessinant les contours d’un paysage que l’on pourrait qualifier de post-apocalyptique.
À la manière de l’incipit d’un film de science fiction, l’exposition s’ouvre par un sas de décontamination. Ici, les fontaines en plastique fondu brumisent imperceptiblement un liquide à l’odeur de pétrichor, de terre humide. Volatile, il viendra se déposer, en couche protectrice, sur la surface de la peau du visiteur, purifiant ainsi subrepticement son microbiote cutané. Les poèmes inscrits sur les parois de cet espace confiné distillent quelques indices : « one arrow to another » , « emanation », « lukewarm ».
Au sein des sculptures Râ de Naomi Maury, de ce réseau de tuyaux translucides, les éléments naturels, coraux et autres mousses, cohabitent avec quelques plastiques manufacturés dans un biomimétisme inquiétant. Les assemblages de matériaux diamétralement opposés évoquent, ici encore, les vestiges d’une société de production pétrochimique de masse investis par une flore et une faune ubiquiste. Les cigales qui « nuit et jour, à tout venant » chantent dans l’exposition, surprises que la bise ne vienne plus, ne migrent-elles pas plus au nord chaque année ?
Parfois on marchait jusqu’à épuisement de nos pieds, il fallait qu’on trouve un moyen pour se reposer.
Fatiguées, les silhouettes invertébrées, chacune partie d’un corps (social?) aveuli, sont les archétypes d’un principe de sous-optimalité : en contradiction totale avec une société de l’efficacité et du dynamisme, elles sont ici lasses, dans une attente immobile. Seul un phénomène météorologique inexpliqué semblerait pouvoir les sortir de leur torpeur. Ainsi, quelques pierres vertes, en constante évolution chromatique, jouent les mystères scientifiques, mimant les sphères gélatineuses bleues tombées du ciel en Angleterre en 2012.
À l’étage, des contenants standardisés en bois accueillent des sculptures non identifiées. Ici encore, les assemblages de matériaux antagoniques et les remplacements de matière semblent modifier l’essence même des quelques objets usuels reconnus. Les autres formes énigmatiques, souvent organiques, évoquent des protagonistes absents, insectes, et oiseaux, qui investissent les artéfacts et y construisent des habitats hybrides : nids et essaims faits de plastique fondu, de laine de verre et de terre séchée. L’exposition de Naomi Maury et de Damien Fragnon dresse le portrait d’une nature « post » anthropocène au sein de laquelle apparaissent de nouvelles matières modifiées par les activités humaines. Les évocations qui y sont faites sont multiples et les formes sculpturales sont autant de possibles. Est-ce là une proposition optimiste de cohabitation paisible ou plutôt un sombre tableau au sein duquel l’homme n’aurait plus sa place ?
Vues de l’exposition L’odeur du ciel, Damien Fragnon et Naomi Maury, L’attrape couleurs, Lyon, 2018.